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LIVRE V. LE RÉGIME MUNICIPAL DISPARAÎT.

d’action que ces deux grands esprits. C’étaient des hommes ardents à combattre les vieilles erreurs. Dans la lutte qu’ils engagèrent contre tout ce qui tenait au passé, ils ne ménagèrent pas plus les institutions de la cité que les préjugés de la religion. Ils examinèrent et discutèrent hardiment les lois qui régissaient encore l’État et la famille. Ils allaient de ville en ville, prêchant des principes nouveaux, enseignant non pas précisément l’indifférence au juste et à l’injuste, mais une nouvelle justice, moins étroite et moins exclusive que l’ancienne, plus humaine, plus rationnelle, et dégagée des formules des âges antérieurs. Ce fut une entreprise hardie, qui souleva une tempête de haines et de rancunes. On les accusa de n’avoir ni religion, ni morale, ni patriotisme. La vérité est que sur toutes ces choses ils n’avaient pas une doctrine bien arrêtée, et qu’ils croyaient avoir assez fait quand ils avaient combattu des préjugés. Ils remuaient, comme dit Platon, ce qui jusqu’alors avait été immobile. Ils plaçaient la règle du sentiment religieux et celle de la politique dans la conscience humaine, et non pas dans les coutumes des ancêtres, dans l’immuable tradition. Ils enseignaient aux Grecs que, pour gouverner un État, il ne suffisait plus d’invoquer les vieux usages et les lois sacrées, mais qu’il fallait persuader les hommes et agir sur des volontés libres. À la connaissance des antiques coutumes ils substituaient l’art de raisonner et de parler, la dialectique et la rhétorique. Leurs adversaires avaient pour eux la tradition ; eux, ils eurent l’éloquence et l’esprit.

Une fois que la réflexion eut été ainsi éveillée, l’homme ne voulut plus croire sans se rendre compte de ses croyances, ni se laisser gouverner sans discuter ses ins-