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CH. III. LE CHRISTIANISME.

Cela eut de grandes conséquences, tant pour les relations entre les peuples que pour le gouvernement des États.

Entre les peuples, la haine ne fut plus obligatoire. S’il y eut encore des antipathies, parce que la nature humaine gardait ses faiblesses, du moins la religion ne faisait plus à l’homme un devoir de haïr l’étranger. Étranger et ennemi ne furent plus nécessairement synonymes. On cessa de croire que l’on eût, dans la guerre, un droit illimité contre l’ennemi ; on commença à penser qu’on avait même des devoirs de justice et de bienveillance à son égard. Les barrières entre les peuples et les races furent ainsi abaissées ; le devoir et l’affection ne cessèrent plus aux limites de la cité. Le pomœrium disparut ; « Jésus-Christ, dit l’apôtre, a rompu la muraille de séparation et d’inimitié. » « Il y a plusieurs membres, dit-il encore, mais tous ne font qu’un seul corps. Il n’y a ni gentil, ni Juif ; ni circoncis, ni incirconcis ; ni barbare, ni scythe. Tout le genre humain est ordonné dans l’unité. » En même temps le christianisme enseigna aux Grecs et aux Romains, ce que leurs traditions ne leur disaient pas, que tous les hommes descendaient d’un même père commun. Avec l’unité de Dieu, l’unité de la race humaine apparut aux esprits. Si les peuples ne pouvaient pas encore s’aimer, au moins sentaient-ils qu’ils ne devaient pas se haïr.

Pour ce qui est du gouvernement de l’État, on peut dire que le christianisme l’a transformé dans son essence, précisément parce qu’il ne s’en est pas occupé. Dans les vieux âges, la religion et l’État ne faisaient qu’un ; chaque peuple adorait son dieu, et chaque dieu gouvernait son peuple ; le même code réglait les relations entre