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LIVRE II. LA FAMILLE.

priété quand il s’agit des troupeaux et ne le comprennent plus quand il s’agit du sol. Chez les anciens Germains la terre n’appartenait à personne ; chaque année la tribu assignait à chacun de ses membres un lot à cultiver, et on changeait de lot l’année suivante. Le Germain était propriétaire de la moisson ; il ne l’était pas de la terre. Il en est encore de même dans une partie de la race sémitique et chez quelques peuples slaves.

Au contraire, les populations de la Grèce et de l’Italie, dès l’antiquité la plus haute, ont toujours connu et pratiqué la propriété privée. On ne trouve pas une époque où la terre ait été commune[1] ; et l’on ne voit non plus rien qui ressemble à ce partage annuel des champs qui était usité chez les Germains. Il y a même un fait bien remarquable. Tandis que les races qui n’accordent pas à l’individu la propriété du sol, lui accordent au moins celle des fruits de son travail, c’est-à-dire de sa récolte, c’était le contraire chez les Grecs. Dans beaucoup de villes les citoyens étaient astreints à mettre en commun leurs moissons, ou du moins la plus grande partie, et devaient les consommer en commun ; l’individu n’était donc pas maître du blé qu’il avait récolté ; mais en même temps, par une contradiction bien singulière, il avait la propriété absolue du sol. La terre était à lui plus que la moisson. Il semble que chez les Grecs la conception du droit de propriété ait suivi une marche tout à fait opposée à celle

  1. Quelques historiens ont émis l’opinion qu’à Rome la propriété avait d’abord été publique et n’était devenue privée que sous Numa. Cette erreur vient d’une fausse interprétation de trois textes de Plutarque (Numa, 16), de Cicéron (Républiq., II, 14) et de Denys (II, 74). Ces trois auteurs disent en effet que Numa distribua des terres aux citoyens ; mais ils indiquent très-clairement qu’il n’eut à faire ce partage qu’à l’égard des terres conquises par son prédécesseur, agri quos bello Romulus ceperat. Quant au sol romain lui-même, ager Romanus, il était propriété privée depuis l’origine de la ville.