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CH. VI. LE DROIT DE PROPRIÉTÉ.

ligion du foyer et des ancêtres. Ainsi l’homme des anciens âges fut dispensé de résoudre de trop difficiles problèmes. Sans discussion, sans travail, sans l’ombre d’une hésitation, il arriva d’un seul coup et par la vertu de ses seules croyances à la conception du droit de propriété, de ce droit d’où sort toute civilisation, puisque par lui l’homme améliore la terre et devient lui-même meilleur.

Ce ne furent pas les lois qui garantirent d’abord le droit de propriété, ce fut la religion. Chaque domaine était sous les yeux des divinités domestiques qui veillaient sur lui[1]. Chaque champ devait être entouré, comme nous l’avons vu pour la maison, d’une enceinte qui le séparât nettement des domaines des autres familles. Cette enceinte n’était pas un mur de pierre ; c’était une bande de terre de quelques pieds de large, qui devait rester inculte et que la charrue ne devait jamais toucher. Cet espace était sacré : la loi romaine le déclarait imprescriptible[2] ; il appartenait à la religion. À certains jours marqués du mois et de l’année, le père de famille faisait le tour de son champ, en suivant cette ligne ; il poussait devant lui des victimes, chantait des hymnes, et offrait des sacrifices[3]. Par cette cérémonie il croyait avoir éveillé la bienveillance de ses dieux à l’égard de son champ et de sa maison ; il avait surtout marqué son droit de propriété en promenant autour de son champ son culte domestique. Le chemin qu’avaient suivi les victimes et les prières, était la limite inviolable du domaine.

  1. Lares agri custodes, Tibulle, I, 1, 23. Religio Larum posita in fundi villæque conspectu. Cic., De legib., II, 11.
  2. Cic., De legib., I, 21.
  3. Caton, De re rust., 141. Script. rei agrar., éd. Goez, p. 308. Denys d’Hal., II, 74. Ovide, Fast., II, 639. Strabon, V, 3.