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LIVRE II. LA FAMILLE.

que ce droit fût éteint après la courte existence d’un individu. L’homme meurt, le culte reste ; le foyer ne doit pas s’éteindre ni le tombeau être abandonné. La religion domestique se continuant, le droit de propriété doit se continuer avec elle.

Deux choses sont liées étroitement dans les croyances comme dans les lois des anciens, le culte d’une famille et la propriété de cette famille. Aussi était-ce une règle sans exception dans le droit grec comme dans le droit romain, qu’on ne pût pas acquérir la propriété sans le culte ni le culte sans la propriété. « La religion prescrit, dit Cicéron, que les biens et le culte de chaque famille soient inséparables, et que le soin des sacrifices soit toujours dévolu à celui à qui revient l’héritage[1]. » À Athènes, voici en quels termes un plaideur réclame une succession : « Réfléchissez bien, juges ; et dites lequel de mon adversaire ou de moi, doit hériter des biens de Philoctémon et faire les sacrifices sur son tombeau[2]. » Peut-on dire plus clairement que le soin du culte est inséparable de la succession ? Il en est de même dans l’Inde : « La personne qui hérite, quelle qu’elle soit, est chargée de faire les offrandes sur le tombeau[3]. »

De ce principe sont venues toutes les règles du droit


    est pas enlevée. Les arrangements connus en droit romain sous les noms de mancipation avec fiducie et de pignus étaient, avant l’action Servienne, des moyens détournés pour assurer au créancier le paiement de la dette ; ils prouvent indirectement que l’expropriation pour dettes n’existait pas. Plus tard, quand on supprima la servitude corporelle, il fallut trouver moyen d’avoir prise sur les biens du débiteur. Cela n’était pas facile ; mais la distinction que l’on faisait entre la propriété et la possession, offrit une ressource. Le créancier obtint du préteur le droit de faire vendre, non pas la propriété, dominium, mais les biens du débiteur, bona. Alors seulement, par une expropriation déguisée, le débiteur perdit la jouissance de sa propriété.

  1. Cic., De legib., II, 19, 20. Festus, vo everriator.
  2. Isée, VI, 51. Platon appelle l’héritier διάδοχος θεῶν, Lois, V, p. 740.
  3. Lois de Manou, IX, 186.