Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/116

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en justice[1]. » De tout cela il résulte clairement que la femme et le fils ne pouvaient être ni demandeurs, ni défendeurs, ni accusateurs, ni accusés, ni témoins. De toute la famille, il n’y avait que le père qui pût paraître devant le tribunal de la cité ; la justice publique n’existait que pour lui.

Si la justice, pour le fils et la femme, n’était pas dans la cité, c’est qu’elle était dans la maison. Leur juge était le chef de famille, siégeant comme sur un tribunal, en vertu de son autorité maritale ou paternelle, au nom de la famille et sous les yeux des divinités domestiques[2].

Tite-Live raconte que le Sénat voulant extirper de Rome les Bacchanales, décréta la peine de mort contre ceux qui y avaient pris part. Le décret fut aisément exécuté à l’égard des citoyens. Mais à l’égard des femmes, qui n’étaient pas les moins coupables, une difficulté grave se présentait ; les femmes n’étaient pas justiciables de l’État ; la famille seule avait le droit de les juger. Le Sénat respecta ce vieux principe et laissa aux maris et aux pères la charge de prononcer contre les femmes la sentence de mort.

Ce droit de justice que le Chef de famille exerçait dans sa maison, était complet et sans appel. Il pouvait condamner à mort, comme faisait le magistrat dans la cité ; aucune autorité n’avait le droit de modifier ses arrêts. « Le mari, dit Caton l’Ancien, est juge de sa femme ; son pouvoir n’a pas de limite ; il peut ce qu’il veut. Si elle a commis quelque faute, il la punit ; si elle a bu du vin, il la condamne ; si elle a eu commerce avec un autre homme, il la tue. »

  1. Gaius, II, 96 ; IV, 77, 78.
  2. Il vint un temps où cette juridiction fut modifiée par les mœurs ; le Père consulta la famille entière et l’érigea en un tribunal qu’il présidait. Tacite, XIII, 32. Digeste, liv. XXIII, tit. 4, 5. Platon, Lois, IX.