Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/137

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allumé, ce tombeau toujours honoré d’un culte, voilà le centre autour duquel toutes les générations viennent vivre et par lequel toutes les branches de la famille, quelque nombreuses qu’elles puissent être, restent groupées en un seul faisceau. Que dit encore le droit privé de ces vieux âges ? En observant ce qu’était l’autorité dans la famille ancienne, nous avons vu que les fils ne se séparaient pas du père ; en étudiant les règles de la transmission du patrimoine, nous avons constaté que, grâce au droit d’aînesse, les frères cadets ne se séparaient pas du frère aîné. Foyer, tombeau, patrimoine, tout cela à l’origine était indivisible. La famille l’était par conséquent. Le temps ne la démembrait pas. Cette famille indivisible, qui se développait à travers les âges, perpétuant de siècle en siècle son culte et son nom, c’était véritablement la gens antique. La gens était la famille, mais la famille ayant conservé l’unité que sa religion lui commandait, et ayant atteint tout le développement que l’ancien droit privé lui permettait d’atteindre[1].

Cette vérité admise, tout ce que les écrivains anciens nous disent de la gens, devient clair. Cette étroite solidarité

  1. Nous n’avons pas à revenir sur ce que nous avons dit plus haut (liv. II, ch. v) de l’agnation. On a pu voir que l’agnation et la gentilité découlaient des même principes et étaient une parenté de même nature. Le passage de la loi des Douze Tables qui assigne l’héritage aux gentiles à défaut d’agnati a embarassé le jurisconsulte et a fait penser qu’il pouvait y avoir une différence essentielle entre ces deux sortes de parenté. Mais cette différence essentielle ne se voit par aucun texte. On était agnatus comme on était gentilis, par la descendance masculine et par le lien religieux. Il n’y avait entre les deux qu’une différence de degré, qui se marqua surtout à partir de l’époque où les branches d’une même gens se divisèrent. L’agnatus fut membre de la branche, le gentilis de la gens. Il s’établit alors la même distinction entre les termes de gentilis et d’agnatus qu’entre les mots gens et familia. Familiam dicinus omnium agnatorum, dit Ulpien au Digeste liv. I, tit. 16, § 195. Quand on était agnat à l’égard d’un homme, on était à plus forte raison son gentilis ; mais on pouvait être gentilis sans être agnat. La loi des Douzes Tables donnait l’héritage, à défaut d’agnats, à ceux qui n’étaient que gentiles à l’égard du défunt, c’est-à-dire qui étaient de sa gens sans être de sa branche ou de sa familia.