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par exemple, fut appelé ici Héraclès (le glorieux), là Phœbos (l’éclatant), ailleurs Apollon (celui qui chasse la nuit ou le mal) ; l’un, le nomma l’Être élevé (Hypérion), l’autre le bienfaisant (Alexicacos) ; et, à la longue, les groupes d’hommes qui avaient donné ces noms divers à l’astre brillant, ne reconnurent pas qu’ils avaient le même dieu.

En fait, chaque homme n’adorait qu’un nombre très-restreint de divinités ; mais les dieux de l’un n’étaient pas ceux de l’autre. Les noms pouvaient, à la vérité, se ressembler ; beaucoup d’hommes avaient pu donner séparément à leur dieu le nom d’Apollon ou celui d’Hercule ; ces mots appartenaient à la langue usuelle et n’étaient que des adjectifs qui désignaient l’Être divin par l’un ou l’autre de ses attributs les plus saillants. Mais sous ce même nom les différents groupes d’hommes ne pouvaient pas croire qu’il n’y eût qu’un dieu. On comptait des milliers de Jupiters différents ; il y avait une multitude de Minerves, de Dianes, de Junons qui se ressemblaient fort peu. Chacune de ces conceptions s’étant formée par le travail libre de chaque esprit et étant en quelque sorte sa propriété, il arriva que ces dieux furent longtemps indépendants les uns des autres, et que chacun d’eux eut sa légende particulière et son culte[1].

Comme la première apparition de ces croyances est d’une époque où les hommes vivaient encore dans l’état de famille, ces dieux nouveaux eurent d’abord, comme les démons, les héros et les lares, le caractère de divinités domestiques. Chaque famille s’était fait ses dieux, et chacune les gardait pour soi, comme des protecteurs dont elle ne voulait pas partager les bonnes grâces avec des étran-

  1. Le même nom cache souvent des divinités fort différentes : Poséidon Hippios, Poséidon Phytalmios, Poséidon Erechthée, Poséidon Ægéen, Poséidon Héliconien étaient des dieux divers qui n’avaient ni les mêmes attributs, ni les mêmes adorateurs.