Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne faut pas s’y tromper : le vrai héros du poëme n’est pas Énée ; ce sont les dieux de Troie, ces mêmes dieux qui doivent être un jour ceux de Rome. Le sujet de l’Énéide, c’est la lutte des dieux romains contre une divinité hostile. Des obstacles de toute nature pensent les arrêter,

Tantæ molis erat romanam condere gentem !

Peu s’en faut que la tempête ne les engloutisse ou que l’amour d’une femme ne les enchaîne. Mais ils triomphent de tout et arrivent au but marqué,

Futa viam inveniunt.

Voilà ce qui devait singulièrement éveiller l’intérêt des Romains. Dans ce poëme ils se voyaient, eux, leur fondateur, leur ville, leurs institutions, leurs croyances, leur empire. Car sans ces dieux la cité romaine n’existerait pas[1].


CHAPITRE VI.

Les dieux de la cité.

Il ne faut pas perdre de vue que, chez les anciens, ce qui faisait le lien de toute société, c’était un culte. De même qu’un autel domestique tenait groupés autour de lui les membres d’une famille, de même la

  1. Nous n’avons pus à examiner ici si la légende d’Énée répond à un fait réel ; il nous suffit d’y voir une croyance. Elle nous montre ce que les anciens se figuraient par un fondateur de ville, quelle idée ils se faisaient du penatiger, et pour nous c’est là l’important. Ajoutons que plusieurs villes, en Thrace, en Crête, en Épire, à Cythère, à Zacynthe, en Sicile, en Italie, croyaient avoir éte fondées par Énée et lui rendaient un culte.