Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/210

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pour se faire d’eux des amis, et plus encore pour ne pas s’en faire des ennemis.

Leur amitié, l’homme y comptait peu. C’étaient des dieux envieux, irritables, sans attachement ni bienveillance, volontiers en guerre avec l’homme. Ni les dieux n’aimaient l’homme, ni l’homme n’aimait ses dieux. Il croyait à leur existence, mais il aurait voulu qu’ils n’existassent pas. Même ses dieux domestiques ou nationaux, il les redoutait, il craignait incessamment d’être trahi par eux. Encourir la haine de ces êtres invisibles était sa grande inquiétude. Il était occupé toute sa vie à les apaiser, paces deorum quaerere, dit le poëte. Mais le moyen de les contenter ? Le moyen surtout d’être sûr qu’on les contentait et qu’on les avait pour soi ? On crut le trouver dans l’emploi de certaines formules. Telle prière, composée de tels mots, avait été suivie du succès qu’on avait demandé ; c’était sans doute qu’elle avait été entendue du dieu, qu’elle avait eu de l’action sur lui, qu’elle avait été puissante, plus puissante que lui, puisqu’il n’avait pas pu lui résister. On conserva donc les termes mystérieux et sacrés de cette prière. Après le père, le fils les répéta. Dès qu’on sut écrire, on les mit en écrit. Chaque famille, du moins chaque famille religieuse, eut un livre où étaient contenues les formules dont les ancêtres s’étaient servis et auxquelles les dieux avaient cédé[1]. C’était une arme que l’homme employait contre l’inconstance de ses dieux. Mais il n’y fallait changer ni un mot ni une syllabe, ni surtout le rythme suivant lequel elle devait être chantée. Car alors la prière eût perdu sa force, et les dieux fussent restés libres.

Mais la formule n’était pas assez : il y avait encore des actes extérieurs dont le détail était minu-

  1. Denys, I, 7, 5. Varron, VI, 90. Cicéron, Brutus, 16. Aulu-Gelle, XIII, 19.