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d’en haut, de même la cité y recourait pour le choix de son magistrat. On était persuadé que les dieux désignaient le plus digne en faisant sortir son nom de l’urne. Cette opinion était celle de Platon lui-même qui disait : « L’homme que le sort a désigné, nous disons qu’il est cher à la divinité et nous trouvons juste qu’il commande. Pour toutes les magistratures qui touchent aux choses sacrées, laissant à la divinité le choix de ceux qui lui sont agréables, nous nous en remettons au sort. » La cité croyait ainsi recevoir ses magistrats des dieux.[1]

Au fond les choses se passaient de même à Rome. La désignation du consul ne devait pas appartenir aux hommes. La volonté ou le caprice du peuple n’était pas ce qui pouvait créer légitimement un magistrat. Voici donc comment le consul était choisi. Un magistrat en charge, c’est-à-dire un homme déjà en possession du caractère sacré et des auspices, indiquait parmi les jours fastes celui où le consul devait être nommé. Pendant la nuit qui précédait ce jour, il veillait, en plein air, les yeux fixés au ciel, observant les signes que les dieux envoyaient, en

  1. Platon, Lois, III, p. 690 ; VI, p. 759. Comp. Démétrius de Phalère, fragm. 4. Il est surprenant que plusieurs historiens modernes représentent ce mode d’élection par le sort comme une invention de la démocratie athénienne. Il était au contraire en pleine vigueur quand dominait l’aristocratie (Plutarque, Périclès, 9), et il paraît aussi ancien que l’archontat lui-même. Ce n’était pas non plus une procédé démocratique ; nous savons, en effet, qu’encore au temps de Lysias et de Démosthènes les noms de tous les citoyens n’était pas mis dans l’urne (Lysias, XXIV, 13 ; Démosthènes, in Andoc., 4) ; à plus forte raison, quand les Eupatrides seuls ou les Pentacosiomédimnes pouvaient être archontes. Les textes de Platon montrent clairement quelle idée les anciens se faisaient du tirage au sort ; la pensée qui le fit instituer pour des magistrats-prêtres comme les archontes, ou pour des sénateurs chargés de fonctions sacrées comme les prytanes, fut une pensée religieuse et non pas une pensée égalitaire. Il est digne de remarque que, lorsque la démocratie prit le dessus, elle garda le tirage au sort pour le choix des archontes, auxquels elle ne laissait aucun pouvoir effectif, et elle l’abandonna pour le choix des stratèges, qui eurent alors la véritable autorité. De sorte qu’il y avait tirage au sort pour les magistratures qui dataient de l’âge aristocratique, et élection pour celles qui dataient de l’âge démocratique.