Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/252

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cité d’une manière très forte et presque inébranlable ; il est, en effet, merveilleux combien cette organisation sociale, malgré ses défauts et toutes ses chances de ruine, a duré longtemps ; ensuite, que cette religion a dû avoir pour effet, pendant de longs siècles, de rendre impossible l’établissement d’une autre forme sociale que la cité.

Chaque cité, par l’exigence de sa religion même, devait être absolument indépendante. Il fallait que chacune eût son code particulier, puisque chacune avait sa religion et que c’était de la religion que la loi découlait. Chacune devait avoir sa justice souveraine, et il ne pouvait y avoir aucune justice supérieure à celle de la cité. Chacune avait ses fêtes religieuses et son calendrier ; les mois et l’année ne pouvaient pas être les mêmes dans deux villes, puisque la série des actes religieux était différente. Chacune avait sa monnaie particulière, qui, à l’origine, était ordinairement marquée de son emblème religieux. Chacune avait ses poids et ses mesures. On n’admettait pas qu’il pût y avoir rien de commun entre deux cités. La ligne de démarcation était si profonde qu’on imaginait à peine que le mariage fût permis entre habitants de deux villes différentes. Une telle union parut toujours étrange et fut longtemps réputée illégitime. La législation de Rome et celle d’Athènes répugnent visiblement à l’admettre. Presque partout les enfants qui naissaient d’un tel mariage étaient confondus parmi les bâtards et privés des droits de citoyen. Pour que le mariage fût légitime entre habitants de deux villes, il fallait qu’il y eût entre elles une convention particulière (jus connubii, έπιγαμία)).

Chaque cité avait autour de son territoire une ligne de bornes sacrées. C’était l’horizon de sa religion nationale et de ses dieux. Au delà de ces bornes d’autres dieux régnaient et l’on pratiquait un autre culte.