Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/254

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ligion. Le symbole de cette association devait être un repas sacré fait en commun. Quelques milliers de citoyens pouvaient bien, à la rigueur, se réunir autour d’un même prytanée, réciter la même prière et se partager les mets sacrés. Mais essayez donc, avec ces usages, de faire un seul État de la Grèce entière ! Comment fera-t-on les repas publics et toutes les cérémonies saintes auxquelles tout citoyen est tenu d’assister ? Où sera le prytanée ? Comment fera-t-on la lustration annuelle des citoyens ? Que deviendront les limites inviolables qui ont marqué à l’origine le territoire de la cité et qui l’ont séparé pour toujours du reste du sol ? Que deviendront tous les cultes locaux, les divinités poliades, les héros qui habitent chaque canton ? Athènes a sur ses terres le héros Œdipe, ennemi de Thèbes ; comment réunir Athènes et Thèbes dans un même culte et dans un même gouvernement ?

Quand ces superstitions s’affaiblirent (et elles ne s’affaiblirent que très tard dans l’esprit vulgaire), il n’était plus temps d’établir une nouvelle forme d’État. La division était consacrée par l’habitude, par l’intérêt, par la haine invétérée, par le souvenir des vieilles luttes. Il n’y avait plus à revenir sur le passé.

Chaque ville tenait fort à son autonomie ; elle appelait ainsi un ensemble qui comprenait son culte, son droit, son gouvernement, toute son indépendance religieuse et politique.

Il était plus facile à une cité d’en assujettir une autre que de se l’adjoindre. La victoire pouvait faire de tous les habitants d’une ville prise autant d’esclaves ; elle ne pouvait pas en faire des concitoyens du vainqueur. Confondre deux cités en un seul État, unir la population vaincue à la population victorieuse et les associer sous un même gouvernement, c’est ce qui ne se voit jamais chez les anciens, à une seule exception près dont nous parlerons plus