Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/262

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Ces coutumes bizarres répondaient parfaitement à l’idée que les anciens se faisaient des dieux. Comme chaque cité avait les siens, il semblait naturel que ces dieux figurassent dans les combats et dans les traités. La guerre ou la paix entre deux villes était la guerre ou la paix entre deux religions. Le droit des gens des anciens fut longtemps fondé sur ce principe. Quand les dieux étaient ennemis, il y avait guerre sans merci et sans règle ; dès qu’ils étaient amis, les hommes étaient liés entre eux et avaient le sentiment de devoirs réciproques. Si l’on pouvait supposer que les divinités poliades de deux cités eussent quelque motif pour être alliées, c’était assez pour que les deux cités le fussent. La première ville avec laquelle Rome contracta amitié fut Cæré en Étrurie, et Tite-Live en dit la raison : dans le désastre de l’invasion gauloise, les dieux romains avaient trouvé un asile à Cæré ; ils avaient habité cette ville, ils y avaient été adorés ; un lien sacré d’hospitalité s’était ainsi formé entre les dieux romains et la cité étrusque[1] ; dès lors la religion ne permettait pas que les deux villes fussent ennemies ; elles étaient alliées pour toujours[2].

  1. Tite-Live, V, 50. Aulu-Gelle, XVI, 13.
  2. Il n’entre pas dans notre sujet de parler des confédérations ou amphictyonies qui étaient nombreuses dans l’ancienne Grèce et en Italie. Qu’il nous suffise de faire remarquer ici qu’elles étaient des associations religieuses autant que politiques. On ne voit pas d’amphictyonie qui n’eût un culte commun et un sanctuaire. Celle des Béotiens offrait un culte à Athéné Itonia, celle des Achéens à Déméter Panachæa, le dieu des Ioniens d’Asie était Poséidon Héliconien, comme celui de la pentapole dorienne était Apollon Triopique. La confédération des Cyclades offrait un sacrifice commun dans l’île de Délos, les villes de l’Argolide à Calaurie. L’amphictyonie des Thermopyles était une association de même nature. Toutes les réunions avaient lieu dans des temples et avaient pour objet principal un sacrifice : chacune des cités confédérées envoyait pour y prendre part quelques citoyens revêtus momentanément d’un caractère sacerdotal, et qu’on appelait théores. Une victime était immolée en l’honneur du dieu de l’association, et les chairs, cuites sur l’autel, étaient partagées entre les représentants des cités. Le repas commun, avec les chants, les prières et les jeux sacrés qui