Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/269

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Tel est Camille. Un général romain est un homme qui sait admirablement combattre, qui sait surtout l’art de se faire obéir, mais qui croit fermement aux augures, qui accomplit chaque jour des actes religieux et qui est convaincu que ce qui importe le plus, ce n’est pas le courage, ce n’est pas même la discipline, c’est l’énoncé de quelques formules exactement dites suivant les rites. Ces formules adressées aux dieux les déterminent et les contraignent presque toujours à lui donner la victoire. Pour un tel général la récompense suprême est que le Sénat lui permette d’accomplir le sacrifice triomphal. Alors il monte sur le char sacré qui est attelé de quatre chevaux blancs ; il est vêtu de la robe sacrée dont on revêt les dieux aux jours de fête ; sa tête est couronnée, sa main droite tient une branche de laurier, sa gauche le sceptre d’ivoire ; ce sont exactement les attributs et le costume que porte la statue de Jupiter.[1] Sous cette majesté presque divine il se montre à ses concitoyens, et il va rendre hommage à la majesté vraie du plus grand des dieux romains. Il gravit la pente du Capitole, et arrivé devant le temple de Jupiter, il immole des victimes.

La peur des dieux n’était pas un sentiment propre au Romain ; elle régnait aussi bien dans le cœur d’un Grec. Ces peuples, constitués à l’origine par la religion, nourris et élevés par elle, conservèrent très longtemps la marque de leur éducation première. On connaît les scrupules du Spartiate, qui ne commence jamais une expédition avant que la lune soit dans son plein, qui immole sans cesse des victimes pour savoir s’il doit combattre et qui renonce aux entreprises les mieux conçues et les plus nécessaires parce qu’un mauvais présage l’effraye. L’Athénien n’est pas moins scrupuleux. Une armée athénienne

  1. Tite-Live, X, 7 ; XXX, 15. Denys, V, 8. Appien, G. puniq., 59. Juvénal, X, 43. Pline, XXXIII, 7.