Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/319

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rité d’un chef unique, deux classes de rang inégal : d’une part, les branches cadettes, c’est-à-dire les individus naturellement libres ; de l’autre, les serviteurs ou clients, inférieurs par la naissance, mais rapprochés du chef par leur participation au culte domestique. De ces deux classes, nous venons de voir la première sortir de son état d’infériorité ; la seconde aspire aussi de bonne heure à s’affranchir. Elle y réussit à la longue ; la clientèle se transforme et finit par disparaître.

Immense changement que les écrivains anciens ne nous racontent pas. C’est ainsi que, dans le moyen-âge, les chroniqueurs ne nous disent pas comment la population des campagnes s’est peu à peu transformée. Il y a eu dans l’existence des sociétés humaines un assez grand nombre de révolutions dont le souvenir ne nous est fourni par aucun document. Les écrivains ne les ont pas remarquées, parce qu’elles s’accomplissaient lentement, d’une manière insensible, sans luttes visibles ; révolutions profondes et cachées qui remuaient le fond de la société humaine sans qu’il en parût rien à la surface, et qui restaient inaperçues des générations mêmes qui y travaillaient. L’histoire ne peut les saisir que fort longtemps après qu’elles sont achevées, lorsqu’en comparant deux époques de la vie d’un peuple elle constate entre elles de si grandes différences qu’il devient évident que, dans l’intervalle qui les sépare, une grande révolution s’est accomplie.

Si l’on s’en rapportait au tableau que les écrivains nous tracent de la clientèle primitive à Rome, ce serait vraiment une institution de l’âge d’or. Qu’y a-t-il de plus humain que ce patron qui défend son client en justice, qui le soutient de son argent s’il est pauvre, et qui pourvoit à l’éducation de ses enfants ? Qu’y a-t-il de plus touchant que ce client qui soutient à son tour le patron tombé dans la misère, qui paye ses dettes, qui donne tout ce qu’il a pour