Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/330

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œuvre inespérée, dit-il ; je l’ai accomplie avec l’aide des dieux ; J’en atteste la déesse Mère, la Terre noire, dont j’ai en maints endroits arraché les bornes, la terre qui était esclave et qui maintenant est libre. » En faisant cela, Solon avait accompli une révolution considérable. Il avait mis de côté l’ancienne religion de la propriété qui, au nom du dieu Terme immobile, retenait la terre en un petit nombre de mains. Il avait arraché la terre à la religion pour la donner au travail. Il avait supprimé, avec l’autorité de l’eupatride sur le sol, son autorité sur l’homme, et il pouvait dire dans ses vers : « Ceux qui sur cette terre subissaient la cruelle servitude et tremblaient devant un maître, je les ai faits libres. »

Il est probable que ce fut cet affranchissement que les contemporains de Solon appelèrent du nom de σεισαχθεία (secouer le fardeau). Les générations suivantes qui, une fois habituées à la liberté, ne voulaient ou ne pouvaient pas croire que leurs pères eussent été serfs, expliquèrent ce mot comme s’il marquait seulement une abolition des dettes. Mais il a une énergie qui nous révèle une plus grande révolution. Ajoutons-y cette phrase d’Aristote qui, sans entrer dans le récit de l’œuvre de Solon, dit simplement : « Il fit cesser l’esclavage du peuple[1]. »


Cette guerre entre les clients et les patrons a rempli aussi une longue période de l’existence de Rome. Tite-Live, à la vérité, n’en dit rien, parce qu’il n’a pas l’habitude d’observer de près le changement des institutions ; d’ailleurs les annales des pontifes et les documents analogues où avaient puisé les anciens

  1. Aristote, Gouv. d’Ath., Fragm., coll. Didot, t. II, p. 107.