Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/345

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énumérer toutes les formes diverses sous lesquelles cette grande révolution s’est accomplie. Le résultat a été partout le même : la classe inférieure a pénétré dans la cité et a fait partie du corps politique. Le poète Théognis nous donne une idée assez nette de cette révolution et de ses conséquences. Il nous dit que dans Mégare, sa patrie, il y a deux sortes d’hommes. Il appelle l’une la classe des bons, άγαθοί ; c’est en effet le nom qu’elle se donnait dans la plupart des villes grecques. Il appelle l’autre la classe des mauvais, κακοί ; c’est encore de ce nom qu’il était d’usage de désigner la classe inférieure. Cette classe, le poète nous décrit sa condition ancienne : elle ne connaissait autrefois ni les tribunaux ni les lois ; c’est assez dire qu’elle n’avait pas le droit de cité. Il n’était même pas permis à ces hommes d’approcher de la ville ; ils vivaient en dehors comme des bêtes sauvages. Ils n’assistaient pas aux repas religieux ; ils n’avaient pas le droit de se marier dans les familles des bons. Mais que tout cela est changé ! Les rangs ont été bouleversés, les mauvais ont été mis au-dessus des bons. La justice est troublée ; les antiques lois ne sont plus, et des lois d’une nouveauté étrange les ont remplacées. La richesse est devenue l’unique objet des désirs des hommes, parce qu’elle donne la puissance. L’homme de race noble épouse la fille du riche plébéien et le mariage confond les races.

Théognis, qui sort d’une famille aristocratique, a vainement essayé de résister au cours des choses. Condamné à l’exil, dépouillé de ses biens, il n’a plus que ses vers pour protester et pour combattre. Mais s’il n’espère pas le succès, du moins il ne doute pas de la justice de sa cause ; il accepte la défaite, mais il garde le sentiment de son droit. A ses yeux, la révolution qui s’est faite est un mal moral, un crime. Fils de l’aristocratie, il lui semble que cette révolution