Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/367

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aura le droit de rien faire à l’encontre d’un tribun. Tous les citoyens prononcèrent un serment par lequel ils s’engageaient à observer toujours cette loi étrange, appelant sur eux la colère des dieux, s’ils la violaient, et ajoutant que quiconque se rendrait coupable d’attentat sur un tribun serait entaché de la plus grande souillure.[1] Ce privilège d’inviolabilité s’étendait aussi loin que le corps du tribun pouvait étendre son action directe. Un plébéien était-il maltraité par un consul qui le condamnait à la prison, ou par un créancier qui mettait la main sur lui, le tribun se montrait, se plaçait entre eux (intercessio) et arrêtait la main patricienne. Qui eût osé faire quelque chose à l’encontre d’un tribun, ou s’exposer à être touché par lui ? Mais le tribun n’exerçait cette singulière puissance que là où il était présent. Loin de lui, on pouvait maltraiter les plébéiens. Il n’avait aucune action sur ce qui se passait hors de la portée de sa main, de son regard, de sa parole.[2] Les patriciens n’avaient pas donné à la plèbe des droits ; ils avaient seulement accordé que quelques-uns des plébéiens fussent inviolables. Toutefois c’était assez pour qu’il y eût quelque sécurité pour tous. Le tribun était une sorte d’autel vivant auquel s’attachait un droit d’asile.

Les tribuns devinrent naturellement les chefs de la plèbe et s’emparèrent du droit de juger. A la vérité ils n’avaient pas le droit de citer devant eux, même un plébéien ; mais ils pouvaient appréhender au corps.[3] Une fois sous leur main, l’homme obéissait. Il

  1. Denys, VI, 89 ; X, 32 ; X, 42.
  2. Tribuni antiquitus creati, non juri dicundo nec causis querelisque de absentibus noscendis, sed intercessionibus faciendis quibus praesentes fuissent, ut injuria quae coram fieret arceretur. Aulu-Gelle, XIII, 12.
  3. Aulu-Gelle, XV, 27. Denys, VIII, 87 ; VI, 90.