Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/376

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où l’on ne pouvait plus se retenir. Il était devenu nécessaire de faire une loi pour défendre le mariage entre les deux ordres : preuve certaine que la religion et les mœurs ne suffisaient plus à l’interdire. Mais à peine avait-on eu le temps de faire cette loi, qu’elle tomba devant une réprobation universelle. Quelques patriciens persistèrent bien à alléguer la religion ; notre sang va être souillé, et le culte héréditaire de chaque famille en sera flétri ; nul ne saura plus de quel sang il est né, à quels sacrifices il appartient ; ce sera le renversement de toutes les institutions divines et humaines. Les plébéiens n’entendaient rien à ces arguments, qui ne leur paraissaient que des subtilités sans valeur. Discuter des articles de foi devant des hommes qui n’ont pas la religion, c’est peine perdue. Les tribuns répliquaient d’ailleurs avec beaucoup de justesse : S’il est vrai que votre religion parle si haut, qu’avez-vous besoin de cette loi ? Elle ne vous sert de rien ; retirez-la, vous resterez aussi libres qu’auparavant de ne pas vous allier aux familles plébéiennes. La loi fut retirée. Aussitôt les mariages devinrent fréquents entre les deux ordres. Les riches plébéiens furent à tel point recherchés que, pour ne parler que des Licinius, on les vit s’allier à trois gentes patriciennes, aux Fabius, aux Cornélius, aux Manlius.[1] On put reconnaître alors que la loi avait été un moment la seule barrière qui séparât les deux ordres. Désormais, le sang patricien et le sang plébéien se mêlèrent.

Dès que l’égalité était conquise dans la vie privée, le plus difficile était fait, et il semblait naturel que l’égalité existât de même en politique. La plèbe se demanda donc pourquoi le consulat lui était interdit, et elle ne vit pas de raison pour en être écartée toujours.

  1. Tite Live, V, 12 ; VI, 34 ; VI, 39.