Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/408

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citoyens mettait la main à toutes les affaires, nommait les magistrats, faisait les lois, rendait la justice, décidait de la guerre ou de la paix et rédigeait les traités d’alliance. Il suffisait donc de cette extension du droit de suffrage pour que le gouvernement fût vraiment démocratique.

Il faut faire une dernière remarque. On aurait peut-être évité l’avènement de la démocratie, si l’on avait pu fonder ce que Thucydide appelle λιγαρχία ίσόνομος, c’est-à-dire le gouvernement pour quelques-uns et la liberté pour tous. Mais les Grecs n’avaient pas une idée nette de la liberté ; les droits individuels manquèrent toujours chez eux de garanties. Nous savons par Thucydide, qui n’est certes pas suspect de trop de zèle pour le gouvernement démocratique, que sous la domination de l’oligarchie le peuple était en butte à beaucoup de vexations, de condamnations arbitraires, d’exécutions violentes. Nous lisons dans cet historien qu’il fallait le régime démocratique pour que les pauvres eussent un refuge et les riches un frein. Les Grecs n’ont jamais su concilier l’égalité civile avec l’inégalité politique. Pour que le pauvre ne fût pas lésé dans ses intérêts personnels, il leur a paru nécessaire qu’il eût un droit de suffrage, qu’il fût juge dans les tribunaux, et qu’il pût être magistrat. Si nous nous rappelons d’ailleurs que chez les Grecs, l’État était une puissance absolue, et qu’aucun droit individuel ne tenait contre lui, nous comprendrons quel immense intérêt il y avait pour chaque homme, même pour le plus humble, à avoir des droits politiques, c’est-à-dire à faire partie du gouvernement. Le souverain collectif étant si omnipotent, l’homme ne pouvait être quelque chose qu’en étant un membre de ce souverain. Sa sécurité et sa dignité tenaient à cela. On voulait posséder les droits politiques, non pour avoir la vraie liberté, mais pour avoir au moins ce qui pouvait en tenir lieu.