Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/433

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l’historien, avaient une telle haine pour leurs maîtres qu’il n’y en avait pas un seul parmi eux qui n’avouât qu’il lui serait agréable de les dévorer tout crus. Mais le gouvernement de Sparte était admirablement servi : il n’y avait pas pour lui de secret. Les éphores prétendirent que les entrailles des victimes leur avaient révélé le complot. On ne laissa pas aux conjurés le temps d’agir : on mit la main sur eux, et on les fit périr secrètement. L’oligarchie fut encore une fois sauvée.[1]

A la faveur de ce gouvernement, l’inégalité alla grandissant toujours. La guerre du Péloponnèse et les expéditions en Asie avaient fait affluer l’argent à Sparte ; mais il s’y était répandu d’une manière fort inégale, et n’avait enrichi que ceux qui étaient déjà riches. En même temps, la petite propriété disparut. Le nombre des propriétaires, qui était encore de mille au temps d’Aristote, était réduit à cent, un siècle après lui.[2] Le sol était tout entier dans quelques mains, alors qu’il n’y avait ni industrie ni commerce pour donner au pauvre quelque travail, et que les riches faisaient cultiver leurs immenses domaines par des esclaves. D’une part étaient quelques hommes qui avaient tout, de l’autre le très grand nombre qui n’avait absolument rien. Plutarque nous présente, dans la vie d’Agis et dans celle de Cléomène, un tableau de la société spartiate ; on y voit un amour effréné de la richesse, tout mis au-dessous d’elle ; chez quelques-uns le luxe, la mollesse, le désir d’augmenter sans fin leur fortune ; hors de là, rien qu’une tourbe misérable, indigente, sans droits politiques, sans aucune valeur dans la cité, envieuse, haineuse, et qu’un tel état social condamnait à désirer une révolution.

Quand l’oligarchie eut ainsi poussé les choses aux dernières

  1. Xénophon, Helléniques, III, 3
  2. Plutarque, Agis, 5