Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/44

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mitive chaque dieu ne pouvait être adoré que par une famille. La religion était purement domestique.

Il faut éclaircir ce point important ; car on ne comprendrait pas sans cela la relation très étroite qu’il y a entre ces vieilles croyances et la constitution de la famille grecque et romaine.

Le culte des morts ne ressemblait en aucune manière à celui que les chrétiens ont pour les saints. Une des premières règles de ce culte était qu’il ne pouvait être rendu par chaque famille qu’aux morts qui lui appartenaient par le sang. Les funérailles ne pouvaient être religieusement accomplies que par le parent le plus proche. Quant au repas funèbre qui se renouvelait ensuite à des époques déterminées, la famille seule avait le droit d’y assister, et tout étranger en était sévèrement exclu[1]. On croyait que le mort n’acceptait l’offrande que de la main des siens ; il ne voulait de culte que de ses descendants. La présence d’un homme qui n’était pas de la famille troublait le repos des mânes. Aussi la loi interdisait-elle à l’étranger d’approcher d’un tombeau[2]. Toucher du pied, même par mégarde, une sépulture, était un acte impie, pour lequel il fallait apaiser le mort et se purifier soi-même. Le mot par lequel les anciens désignaient le culte des morts est significatif ; les Grecs disaient πατριάζειν, les Latins disaient parentare. C’est que la prière et l’offrande n’étaient adressées par chacun qu’à ses pères. Le culte des morts était uniquement le culte des ancêtres[3]. Lucien, tout en se moquant des opinions du vulgaire, nous les explique nettement quand il dit :

  1. Cicéron, De legib., II, 26. Varron, L. L., VI, 13 : Ferunt epulas ad sepulcrum quibus jus ibi parentare. Gaius, II, 5, 6 : Si modo mortui funus ad nos pertineat. Plutarque, Solon.
  2. Pittacus omnino accedere quemquam velat in funus aliorum. Cicéron, De legib., II, 26. Plutarque, Solon, 21. Démosthène, in Timocr. Isée, 1.
  3. Du moins à l’origine, car ensuite les cités ont eu leurs héros topiques et nationaux, comme nous le verrons plus loin.