Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/75

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des générations présentes ; il en est résulté que les lois par lesquelles ils l’ont garanti, sont sensiblement différentes des nôtres.

On sait qu’il y a des races qui ne sont jamais arrivées à établir chez elles la propriété privée ; d’autres n’y sont parvenues qu’à la longue et péniblement. Ce n’est pas en effet un facile problème, à l’origine des sociétés, de savoir si l’individu peut s’approprier le sol et établir un tel lien entre son être et une part de terre qu’il puisse dire : cette terre est mienne, cette terre est comme une partie de moi. Les Tartares conçoivent le droit de propriété quand il s’agit des troupeaux, et ne le comprennent plus quand il s’agit du sol. Chez les anciens Germains la terre n’appartenait à personne ; chaque année la tribu assignait à chacun de ses membres un lot à cultiver, et on changeait de lot l’année suivante. Le Germain était propriétaire de la moisson ; il ne l’était pas de la terre. Il en est encore de même dans une partie de la race sémitique et chez quelques peuples slaves.

Au contraire, les populations de la Grèce et de l’Italie, dès l’antiquité la plus haute, ont toujours connu et pratiqué la propriété privée. On ne trouve pas une époque où la terre ait été commune[1] ; et l’on ne voit non plus rien qui ressemble à ce partage annuel des champs qui était usité chez les Germains. Il y a même un fait bien remarquable. Tandis que les races qui n’accordent pas à l’individu la propriété du sol, lui accordent au moins celle des

  1. Quelques historiens ont émis l’opinion qu’à Rome la propriété avait d’abord été publique et n’était devenue privée que sous Numa. Cette erreur vient d’une fausse interprétation de trois textes de Plutarque (Numa, 16), de Cicéron (République, II, 14) et de Denys (II 74). Ces trois auteurs disent en effet que Numa distribua des terres aux citoyens, mais ils indiquent très clairement qu’il n’eut à faire ce partage qu’à l’égard des terres conquises par son prédécesseur, agri quos bello Romulus ceperat. Quant au sol romain lui-même, ager Romanus, il était propriété privée depuis l’origine de la ville.