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Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/87

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ayant été ainsi conçu et établi, ait été beaucoup plus complet et plus absolu dans ses effets qu’il ne peut l’être dans nos sociétés modernes, où il est fondé sur d’autres principes. La propriété était tellement inhérente à la religion domestique qu’une famille ne pouvait pas plus renoncer à l’une qu’à l’autre. La maison et le champ étaient comme incorporés à elle, et elle ne pouvait ni les perdre ni s’en dessaisir. Platon, dans son traité des lois, ne prétendait pas avancer une nouveauté quand il défendait au propriétaire de vendre son champ ; il ne faisait que rappeler une vieille loi. Tout porte à croire que dans les anciens temps la propriété était inaliénable.

Il est assez connu qu’à Sparte il était formellement défendu de vendre son lot de terre[1]. La même interdiction était écrite dans les lois de Locres et de Leucade.[2] Phidon de Corinthe, législateur du neuvième siècle, prescrivait que le nombre des familles et des propriétés restât immuable[3]. Or cette prescription ne pouvait être observée que s’il était interdit de vendre les terres et même de les partager. La loi de Solon, postérieure de sept ou huit générations à celle de Phidon de Corinthe, ne défendait plus à l’homme de vendre sa propriété, mais elle frappait le vendeur d’une peine sévère, la perte de tous les droits de citoyen[4] Enfin Aristote nous apprend d’une manière générale que dans beaucoup de villes les anciennes législations interdisaient la vente des terres[5].

De telles lois ne doivent pas nous surprendre. Fondez la propriété sur le droit du travail, l’homme pourra s’en dessaisir. Fondez-la sur la religion, il ne le pourra plus : un lien plus fort que la volonté de l’homme unit la terre à lui. D’ailleurs ce champ

  1. Plutarque, Lycurgue, Agis. Aristote, Polit., II, 6, 10 (II, 7)
  2. Aristote, Polit., II, 4, 4 (II, 5).
  3. Aristote, Polit., II, 3, 7.
  4. Eschine, contre Timarque. Diogène Laërce, I, 55.
  5. Aristote, Polit, VII, 2.