Page:Féron - La revanche d'une race, paru dans L'Étoile du Nord, 1927-1928.djvu/317

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mère en essuyant ses yeux secs du coin de son tablier.

— Eh bien ! quelle est votre nouvelle, madame Jodoin ? demanda Angèle qui accourait de sa cuisine.

— Ah ! Jésus-Marie !… j’sais pas comment vous dire ça !…

— C’est donc bien grave ! murmura l’aveugle très inquiète. Est-ce de nous qu’il s’agit ? demande-t-elle encore, en braquant ses yeux éteints et grands ouverts sur la voisine.

— Au moins, fit Angèle à son tour il ne s’agit plus de Jules, j’espère ?

— Ah ! pauvre Mamzelle Angèle… c’est justement de lui !…

Elle fut interrompue par l’aveugle qui venait de pousser un cri sourd et se dresser debout, les bras étendus chancelante, livide.

— De Jules… de lui encore… bégaya-t-elle ! Que lui est-il donc arrivé. Mais parlez… parlez vite… Mon Dieu… mon Dieu ! comme j’ai peur !…

La commère, comme si elle eût regretté sa démarche, se taisait maintenant toute tremblante.

Angèle lui saisit un bras, la secoua rudement et lui dit d’une voix farouche :

— Allons ! vous en avez trop dit pour vous arrêter-là. Du reste, nous sommes habitués à tous les malheurs, n’est-ce pas, mère ? Parlez donc !… Ah ! nous sommes courageuses… Vite parlez, dites ce que vous savez !…

— Parlez… Parlez… balbutia l’aveugle cherchant à se faire forte.

La commère se décida.

— Ah ! mes chères âmes, dit-elle d’une voix larmoyante, on ne vous avait pas tout appris au sujet de votre pauvre Jules !

— Seigneur !… il est mort !… gémit l’imprudente Angèle en pâlissant.

— Mort… râla l’aveugle en retombant dans sa chaise comme foudroyée.

— Mais non… s’écria aussitôt la commère, je n’ai pas dit qu’il était mort. Au contraire, il est vivant.

— Vivant !… Cette exclamation d’espoir et de joie soulagea la poitrine suffoquée de la mère et celle de la fille.

— Oui, il est vivant, puisque je l’ai vu, reprit Mme Jodoin. Mais… Ah ! Saints des saints !… Je ne pourrai jamais vous dire ça — Et pourtant, il le faut bien ! Tenez, mes chères âmes prenez tout votre courage à deux mains.

— Eh bien ?… haletèrent l’aveugle et sa fille.

— Eh bien !… votre Jules, Mame Marion… il est comme vous !

— Comme moi ?… fit l’aveugle sans comprendre.