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Page:Gérard - Correspondance choisie de Gœthe et Schiller, 1877.djvu/42

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8.

Lettre de Schiller. Sur la philosophie de Kant[1] et de Fichte[2].
Iéna, le 28 octobre 1794.

Vos idées s’accordent avec les miennes, et vous êtes satisfait de l’expression que je leur ai donnée : c’est une grande joie pour moi, et un encouragement bien nécessaire à persévérer dans la voie où je suis entré. À la vérité, tout ce qui est du domaine de la pure raison, ou qui en a l’apparence, devrait reposer sur des bases objectives solides, et porter en soi le critérium de la vérité ; mais une telle philosophie est encore à venir, et la mienne en est bien éloignée. Après tout, le point capital dépend du témoignage du sentiment, et il faut bien recourir à une sanction subjective, qui ne peut se rencontrer que dans l’accord des esprits sincères. Sur ce point, l’assentiment de Meyer est à mes yeux important et précieux ; il me console de l’opposition de Herder, qui ne peut, parait-il, me pardonner mes croyances kantiennes. Je n’attends pas d’ailleurs des adversaires de la nouvelle philosophie la tolérance que l’on pourrait accorder à tout autre système, dont on ne serait pas parvenu à se convaincre ; car la philosophie kantienne n’admet elle-même sur les points essentiels aucune tolérance, et elle a un caractère de rigueur trop marqué pour qu’un accommodement avec elle soit possible. Mais, à mes yeux, c’est un honneur pour elle ; car c’est une preuve qu’elle ne peut supporter l’arbitraire. Aussi n’a-t-on pas raison d’une telle philosophie avec de simples hochements de tête. C’est dans le champ ouvert, lumineux et accessible de l’examen, qu’elle bâtit son système ; elle ne cherche pas l’ombre ; elle ne réserve aucune part au sentiment person-

  1. Kant, l’un des plus illustres philosophes de l’Allemagne et des temps modernes, auteur de la Critique de la raison pure, de la Critique de la raison pratique, de la Critique du jugement. Né en 1725 à Kœnigsberg, mort en 1804.
  2. Voyez page 2, note 1.