Page:Gérard - Correspondance choisie de Gœthe et Schiller, 1877.djvu/73

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temps à une certaine hauteur par sa jeunesse et la société de Wilhelm ; mais dès que ses deux bons anges se sont évanouis, il devient, comme de raison, la proie de la matière, et arrive finalement à s’étonner lui-même d’être resté si loin en arrière de son ami. Cette figure contribue par là même à l’effet de l’ensemble, car elle explique et ennoblit le réalisme auquel vous ramenez votre héros. Celui-ci finit par se trouver dans une situation moyenne excellente, à égale distance du fantaisisme et du philistinisme, et en le guérissant heureusement de son inclination pour le premier vous ne l’avez pas moins mis en garde contre le second.

Werner me rappelle une erreur chronologique assez grave, que je crois remarquer dans le roman. Ce n’est sans doute pas votre intention de donner vingt et un ans à Mignon au moment de sa mort, pas plus que dix ou onze ans à Félix à la même époque. Le blond Frédéric ne doit pas non plus, à sa dernière apparition, avoir de beaucoup dépassé la vingtaine. Il en est cependant ainsi ; car, depuis l’engagement de Wilhelm avec Serlo jusqu’à son retour au château de Lothaire, il ne s’écoule pas moins de six années.

Voici une nouvelle lettre de Humboldt. Il dit beaucoup de choses vraies sur votre Idylle[1] ; mais il y a des passages qu’il ne me paraît pas avoir sentis de la même manière que moi. Ainsi l’admirable vers :

« Toujours, disait-elle doucement. »

ne me parait pas beau, non-seulement à cause du ton sérieux, qui se comprend de soi-même, mais encore parce que, dans ces quelques mots, le secret du cœur s’échappe tout entier d’un seul coup, avec ses conséquences infinies.

Les petites fautes qu’il relève se perdent dans la beauté de l’ensemble ; cependant on pourrait tenir compte de ses critiques, et les raisons qu’il allègue ne sont pas à dédaigner. Deux trochées dans le premier hémipentamètre ont

  1. Alexis et Dora