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33.

Lettre de Schiller. Sur le caractère de Wilhelm dans le roman de Gœthe.
Iéna, le 28 novembre 1796.

Les observations de Humboldt sur la lettre de Kœrner ne me semblent pas sans importance, quoique, relativement au caractère de Wilhelm, il soit tombé dans l’excès opposé. Kœrner a trop considéré ce caractère comme le véritable et unique héros du roman ; le titre, et l’ancienne coutume qui impose à tout roman un héros de cette sorte, l’ont égaré. Wilhelm Meister est bien le personnage le plus nécessaire, mais non pas le plus important ; c’est même une des particularités de votre roman qu’il n’a aucun personnage d’une importance dominante, et qu’il n’en a pas besoin. C’est à propos de Wilhelm et autour de lui que se produisent tous les événements, mais non pas à cause de lui. Les objets qui l’entourent représentent les énergies de la nature, et lui la flexibilité de l’être humain ; ses rapports avec les autres personnages doivent donc être tout autres que ceux des héros des romans ordinaires.

De son côté je trouve Humboldt dans le faux au sujet de ce caractère, et je ne comprends pas comment il pourrait regarder comme accomplie l’intention de l’auteur dans ce roman, si Wilhelm était en effet l’être sans détermination et sans consistance qu’il croit voir en lui. Si ce n’est pas réellement l’humanité, dans toute sa complexité, que vous avez évoquée et mise sur la scène dans le personnage de Wilhelm, le roman n’atteint pas son but ; et si votre héros n’est pas capable d’un tel rôle, vous auriez dû choisir un autre caractère. C’est sans doute pour le roman une circonstance délicate et critique, de ne finir, avec le caractère de Wilhelm, ni par une personnalité décidée, ni par une idéalité soutenue, mais par un moyen terme entre les deux. Le caractère est individuel, mais par ses limites, plutôt que par son fond ; il est idéal, mais seulement en puissance. Il nous refuse ainsi