Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/113

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Dès le dixième siècle, l’évêque de Strasbourg, Uthon, constatait avec chagrin que les clercs de son diocèse se livraient à des excès de table répréhensibles[1] ; il essaya de les réprimer et surtout de les combattre par l’établissement d’écoles épiscopales et monastiques. Plus tard, au quatorzième siècle, les rôles changent. L’évêque Jean de Lyne scandalise, à son tour, le clergé par son intempérance. Il ne songeait qu’à la bonne chère : gulæ ebrietatique deditus, dit Wimpheling[2], et il ne pouvait donner audience le matin s’il n’avait, au préalable, mangé une soupe fortifiante et une poule grasse[3]. Il en reçut le surnom de Kappenesser, cappivorax. Wimpheling se console un peu de voir un évêque si gourmand sur le siège de Strasbourg, en remarquant qu’il était Wallon de naissance. Mais donne-t-il à entendre par là que les Alsaciens de son temps étaient naturellement sobres ? Pesez le motif de son contentement : « Je me réjouis cependant », dit-il, « de penser que cet évêque était Français et non Allemand, afin que les étrangers n’aient plus le droit d’imputer à nos seuls compatriotes l’amour désordonné du vin. »

À l’ombre de ces exemples, le peuple n’apportait naturellement pas plus de retenues dans ses mœurs. Sans pénétrer dans ses habitudes privées, nous allons voir comment il usait des occasions que lui offraient périodiquement les pratiques de l’Église. L’abbé Grandidier parlera, appuyé sur l’autorité du sage Wimpheling. « Le peuple de Strasbourg et d’une partie du diocèse s’assemblait à la cathédrale le jour de la dédicace de cette église, le 29 août, fête de saint Adelphe. Les hommes et les femmes y passaient la nuit, non à chanter les louanges du Seigneur, mais à boire et à manger. Dans ces repas on se livrait aux excès les plus criminels ; on n’y connaissait plus le respect dû au saint lieu. Le grand autel servait de buffet, et il restait à peine de la place pour y célébrer le sacrifice, qui ne s’interrompait pas au milieu de

  1. Grandidier, Hist. de l’Église de Strasbourg, t. II, p. 335.
  2. Wimpheling, Catal. episcop. argentin. In-4°, p. 93.
  3. Kœnigshoven, Chronick ; Code hist. de Strasbourg, t. Ier, p. 164.