Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/154

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Le cochon de lait était bien autre chose ! Célèbre chez les anciens, il est resté fameux chez les modernes, du moins chez les campagnards alsaciens et chez les artisans des villes. Quatre semaines, tel était l’âge que les canons de la vieille cuisine lui avaient assigné ; il ne devait pas le dépasser. La table des gens de gros appétit ne connaissait pas de plus beau trophée dominical que le cochon de lait (Spanferkel, Spiferlein) doré au feu actif de la broche ou rôti au four ; on ne le présentait pas comme ces bêtes sans aveu que donne le hasard de la chasse ; il était de la maison, et il portait dans sa bouche une pomme, symbole des droits civils et des liens domestiques qui le rattachaient à la famille et à la société. C’était plus qu’un aliment ; il était un objet de plaisir, un sujet de fête. Il avait même l’honneur de passer pour un remède. On le conseillait aux malades et aux personnes atteintes de maigreur ou de dépérissement. Heureuse époque, où la médecine puisait avec plus de confiance ses miracles dans la cuisine que dans la pharmacie ! Cette affection de l’Alsacien pour le cochon de lait n’était, d’ailleurs, qu’une conséquence de son estime pour le porc qui, dans son opinion, était l’animal par excellence, utile jusque dans sa dernière fibre, profitable jusque dans les dernières parcelles de sa substance. Le paysan de nos plaines mettait sans hésitation la chair du porc gras au-dessus de celle de la volaille, et il avait concentré ses sentiments d’admiration pour ce pachyderme dans cette vive image : Si le porc avait des plumes et s’il pouvait voler par-dessus les haies, il serait le meilleur et le plus magnifique des volatiles[1].

La tête de porc était un des morceaux nobles de cet animal. Elle était mise en œuvre entière. Après l’avoir échaudée, on la flambait à un feu de paille bien nourri, afin de la noircir et de lui donner, par cette opération, l’aspect et l’illusion d’une hure de sanglier. On la cuisait dans une eau mêlée de vinaigre ou de bon vin, vieux et fort, avec un gros bouquet de sauge et une poignée

  1. J. Bock, Kreutterbuch, p. 317.