Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/159

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fourni par ces bêtes, de farine roussie, de gingembre, de poivre et de cumin[1].

Je vais parler d’un autre mets dont la seule indication éclaire curieusement une question d’histoire naturelle très-intéressante, mais fort ignorée. À quelle époque, le castor d’Europe, que les naturalistes appellent le bièvre ou le bifre, a-t-il disparu du sol de l’Alsace ? Les écrivains réguliers ne nous l’apprennent point, mais les historiographes de la cuisine nous informent que ce rongeur amphibie, cet ingénieur si sociable, résidait encore sur nos rivières au dix-septième siècle. Ils parlent des pattes et des queues de bièvres mises en civet[2] (Biber Schwanz und Datzen in schwarzem Brühlin). C’était un plat maigre. Le fait de la présence du bièvre en Alsace, il y a deux cents ans, quoique peu remarqué, n’a rien qui doive surprendre. Nos Vosges profondes, alors couvertes de vieilles et épaisses forêts et où régnaient de longues solitudes, avaient plus d’une ressemblance avec certaines régions des Alpes. Or, nous savons qu’au seizième siècle encore le castor vivait en société sur la Reuss, l’Aar et la Limmath[3]. Pourquoi n’aurait-il pas habité les hautes parties de l’Ill, le cours sauvage de la Fecht, les rives rocheuses de la Thur, les méandres que la Bruche promenait dans les bois presque ignorés et dans les déserts des montagnes ?

L’Alsace a vu disparaître, s’éteindre, bien d’autres espèces d’animaux qui ont incontestablement servi à l’alimentation de l’homme. J’ai parlé des ours et des droits seigneuriaux que plusieurs princes s’étaient réservés soit sur les pattes, soit sur le chef de cette bête[4] ; on en a tué encore dans la vallée d’Andlau, en 1695[5], et le dernier exemplaire connu a été abattu dans le val de Munster en 1786[6].

  1. Buchinger, loc. citat., formule 252.
  2. Moscherosch, Adeliches Leben, p. 118. — Buchinger, loc. cit. , formule 654.
  3. Tschudi, les Alpes, p. 664.
  4. Revue d’Alsace. L’ancienne Alsace à table, 1re partie, année 1853, p. 147.
  5. Silbermann, Odilienberg, p. 109.
  6. Friese, Histor. Merkwürdigkeiten des Elsasses, p. 14.