Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/182

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guère revue depuis. Il paraît que les bons ammeister s’oubliaient quelquefois aux douceurs du Wolxheim ou du Finkenwein, car le Conseil des XV rendit, en 1585, un édit par lequel il enjoignit à l’ammeister de se trouver à une heure à l’Hôtel de ville. « Il arrivait trop souvent, dit un chroniqueur indiscret, que les magistrats n’arrivaient au sénat et à la chancellerie qu’à trois ou quatre heures. Les seigneurs de la république aimaient de rester longtemps à table[1]. » L’édit ne remédia pas complètement au mal, à ce qu’on peut conjecturer. On prit le parti héroïque de l’extirper, en 1627, en décrétant la suppression absolue de cet antique usage.

La proscription de 1627 n’atteignit pourtant point toutes les bonnes coutumes consacrées par la Constitution strasbourgeoise. Le banquet municipal de la Saint-Jean d’été fut soustrait à la douloureuse réforme. Le 24 juin de chaque année, le sénat entier se transportait sur le Pfennigthurm, où l’on conservait le trésor, les titres et les bannières de la cité. Sur la plate-forme de ce donjon célèbre, qui était comme le cœur, l’arche sacrée de la république, une vaste table de pierre entourée de sièges recevait les graves magistrats qui venaient oublier les labeurs et les soucis du gouvernement. Le banquet était servi aux dépens des vingt tribus ; le maître d’hôtel de chacune d’elles était tenu de fournir un plat de choix, un morceau de distinction ou d’apparat. Le service était fait par les bedeaux du Magistrat revêtus de la pittoresque livrée officielle aux deux couleurs, rouge et blanche. Le corps de musique de la ville exécutait des symphonies pour égayer le repas. Le trésor public se chargeait de rafraîchir le sénat. Le caviste de la république faisait montre, ce jour-là, des plus grands crus, des plus nobles flacons doctement acquis par l’État dans les années prospères, et religieusement conservés dans la bibliothèque souterraine confiée à sa garde[2]. C’était merveille de

  1. Bucheler, Chronick. Mss. de la Bibl. de Strasb. In-fol., t. II, p. 579.
  2. Piton, Strasbourg illustré. Ville, t. Ier, p. 264, d’après Kunast.