Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/187

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spécialement aux joueurs d’instruments, ceux-ci ne restaient point au-dessous de leur réputation proverbiale, et que le seigneur de Ribeaupierre, régalé gratuitement, avait la gracieuseté d’envoyer à ses sujets quelques cordiales réminiscences de sa cave.

Il est vrai que les princes aiment assez de voir leurs peuples se régaler en leur honneur ; ce spectacle leur donne une idée favorable de leur fidélité et de l’enthousiasme qu’excite leur présence ; mais il n’est pas moins vrai qu’ils leur laissent communément la liberté de payer ce qu’il en coûte pour se montrer joyeux sur leur passage. C’est ce que je remarque à l’occasion des fêtes qui signalèrent, en 1529, la visite que le duc Antoine de Lorraine et sa femme Renée de Bourbon firent à Saint-Dié. « On fit des feux de joie devant chaque maison. Mais rien ne manifesta mieux la joie publique, la simplicité des mœurs et l’affection des sujets pour leur prince, que les tables dressées spontanément au milieu des rues, où les voisins confondaient leurs provisions sans prétentions ni rivalité. Sur la plupart de ces tables, que le duc aimait à visiter, était étalé le mets favori des Lorrains, le lard[1]. » L’on ne voit pas que le bon prince ait le moins du monde aidé à l’enivrement général de la loyale population du val de Galilée.

La première république semble avoir mieux fait les choses dans les solennités qu’elle décrétait, si l’on s’en rapporte au procès-verbal officiel de la fête de l’Être Suprême, célébrée à Strasbourg le 20 prairial an II. « L’indigence rentrant dans ses foyers, dit ce document, y trouva un repas frugal ; un patriote avait fait distribuer la veille deux livres de viande aux familles qui avaient plus de vertu que de fortune ; le civisme fit couler, sur le soir, une boisson saine au pied des divers arbres de la liberté ; une partie de la nuit se passa encore en fête et en allégresse ; le bonnet rouge, placé sur la pointe extrême de la tour du temple (la cathédrale) que l’on avait illuminée, paraissait dans l’ombre une étoile flamboyante proclamant les droits du peuple et le bonheur du monde[2]. »

  1. Gravier, Histoire de Saint-Dié, p. 216.
  2. Ancienne Revue d’Alsace, t. Ier, p. 377.