Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Moscherosch a placé dans le premier dialogue de sa Vie noble (Adeliches Leben) un interlocuteur qui semble n’avoir pas eu besoin de beaucoup d’artifices pour disposer son estomac à faire son devoir. Voici comment il s’exprime dans un français que peu de personnes s’attendront, sans doute, à trouver dans un livre imprimé à Strasbourg, chez Jean Philippe Mülben, en 1643 : « J’ay l’appétit tousiours ouuvert comme la gibbecière d’un avocat ; il me faut premièrement antidoter mon estomac de codignat de four, et d’eau béniste de cave, et de quelque chapon froid nageant sur l’hypocras, afin que si quelque malheur me venoit prendre, il ne me trouvast à boyaux vuides[1]. » Voilà certainement un homme de sage précaution ; mais que devenait ce génie prévoyant, logé en un corps dont l’estomac eût été obligé de recourir aux appétitifs ?

Quand on juge combien notre monde est déjà vieux et combien sont enclins à la curiosité les êtres qui décorent cette planète, l’on ne peut pas raisonnablement s’étonner que les hommes aient fait quelques découvertes assez indiscrètes et surpris quelques secrets plus ou moins singuliers. C’est ainsi que nos pères s’étaient crus fondés à attribuer à certaines substances une influence exhilarante, à penser que le safran, mêlé au moût, détruisait l’ébriété, que l’améthyste en préservait totalement celui qui portait cette pierre précieuse. Ils croyaient aussi que la chair du lièvre disposait à la tristesse et engendrait la mélancolie, opinion bien éloignée du sentiment qui portait le poëte Martial à dire du lièvre :


Inter quadrupedes gloria prima lepus,

éloge qu’un hyperboliste français a traduit par ces mots : « C’est le civet qui mérite la couronne civique ! »

Une fois engagée à la poursuite des influences mystérieuses qui

  1. Adeliches Leben, p. 38.