Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/246

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de docteurs, parmi les philosophes anciens, les saints, les pontifes, les prélats, les rois, les hommes célèbres, je pourrais invoquer pour établir la solidité de cette vérité ! Je vais droit au maître qui a découvert et fixé les lois de l’esthétique de ce grand art. « Tous ceux qui ont souvent à traiter les plus grands intérêts, dit Brillat-Savarin, ont vu que l’homme repu n’était pas le même que l’homme à jeun ; que la table établissait une espèce de lien entre celui qui traite et celui qui est traité, qu’elle rendait les convives plus aptes à recevoir certaines impressions, à se soumettre à de certaines influences ; de là est née la gastronomie politique. Les repas sont devenus un moyen de gouvernement, et le sort des peuples s’est décidé dans un banquet. Ceci n’est ni un paradoxe, ni même une nouveauté ; mais une simple observation des faits. Qu’on ouvre tous les historiens depuis Hérodote jusqu’à nos jours, et on verra que sans même excepter les conspirateurs, il ne s’est jamais passé un grand événement qui n’ait été conçu, préparé et ordonné dans les festins[1]. » M. Michelet aussi a dit très-sérieusement : « Une chose grave à observer dans l’histoire des révolutions, c’est de savoir si les acteurs parlent avant ou après les repas[2]. » Dans son livre de L’Amour, il élève la cuisine à la hauteur de la médecine : « Cuisine c’est médecine, dit-il, c’est la médecine préventive, la meilleure[3]. » Perrot d’Ablancourt ne voyait qu’une chose à reprendre dans le spectacle agréable de la réfection humaine, et qu’il eût volontiers réformée : c’est que la Providence mettait toujours l’appétit d’un côté et l’argent de l’autre[4]. L’académicien Bois-Robert avait une si haute opinion de l’art de se bien traiter qu’il lui donnait la préférence sur tous les autres plaisirs. Il accordait indulgemment que les beautés pouvaient être journalières, mais soutenait

  1. Brillat-Savarin, Physiologie du goût, p. 72.
  2. Michelet, Richelieu et la Fronde, p. 314.
  3. Idem, L’Amour, p. 97.
  4. Tallemant, Historiettes, t. VI, p. 168.