qu’il y avait quelque différence entre un goujon et un faisan, et que le coq de bruyère avait un autre goût que le barbeau. Ce grand naturaliste qui avait vu clair dans les œuvres du cinquième jour de la création, exila la plume des cuisines chrétiennes pendant la Quadragésine ; mais, par bonheur, il ferma un peu les yeux sur les sarcelles et les poules d’eau. S’il les eût rouverts un peu plus tard, les canards sauvages étaient conquis.
Si l’Église montra quelque complaisance dans son travail de classification théorique, en revanche, elle n’en montra aucune dans sa manière de juger les faits de la pratique. On sait que Clément Marot faillit être brûlé vif pour avoir mangé du lard en carême. Beaucoup d’autres le furent très-réellement. Au milieu du seizième siècle, l’électeur de Bavière fit décapiter six bourgeois de Munich qui avaient usé de viande dans un jour défendu, et le médecin de Son Altesse, Jean Epiphanius de Venise, leur compagnon de délit, ne sauva sa tête qu’en prenant la fuite et en venant s’établir à Porentruy[1]. Je ne veux pas croire que l’on ait poussé chez nous le zèle aussi avant. Mais les exemples d’une répression plus ou moins rigoureuse de ces infractions ne manquent pas dans notre histoire. En voici un qui nous est fourni par un moine : « Le 29 mars 1533, le dimanche des Rameaux, un bourgeois de Guebwiller, Jacques Glaser, le tondeur de laine, et sa femme Elsi, et Melchior Blatter, le médecin (encore un médecin ! eh ! mon Dieu, qu’ils sont donc réfractaires au carême !), et sa femme Marguerite se sont assemblés avec quelques autres confidentiellement chez Glaser pour s’y régaler, à la bonne mode luthérienne, d’une tête de veau et d’un aloyau garni de son rognon. Ils furent dénoncés. On mit les femmes dans la prison de Goldbach, le tondeur dans la tour, et Melchior au cachot. Le dimanche après Misericordia, on les exposa tous quatre au carcan (Halseisen) ; après quoi, on les chassa de la ville[2]. »