Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/311

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fut pris d’assaut et pillé de vive force dans une heure. À trois heures, le chef d’état-major arrive et apprend aussitôt la belle équipée. Il mande M. Rieffenach. — Eh ! bien, monsieur le maître d’hôtel, où en sommes-nous ? — Votre Excellence doit savoir que je viens d’être pillé jusqu’à la dernière côtelette. — Cela importe peu ; si, demain, à l’heure fixée, l’état-major de l’armée du duc ne trouve pas son dîner prêt, vous ou moi, et peut-être tous les deux, nous aurons l’agrément de prendre le chemin du Hoh-Asperg. Réglez-vous là-dessus. — M. Rieffenach rêve une minute. — Votre Excellence m’accorde-t-elle les fourgons d’artillerie qui campent à l’entrée du village. — Je vous accorde tout, excepté de ne pas faire dîner le duc. M. Rieffenach, qui n’avait qu’un goût fort restreint pour le Hoh-Asperg, court à Strasbourg avec les fourgons militaires de la coalition, tombe comme une tempête sur les comestibles de toute sorte, les enlève et revient victorieux dans la nuit à Reichshoffen. Le même jour, à deux heures, le duc de Wellington et ses quinze cents officiers dînaient splendidement au château de Reichshoffen, et le noir fantôme du Hoh-Asperg délogea de l’imagination qu’il avait un instant assombrie.

Vatel, dont on a tant abusé, est bien pâle en face de ce trait héroïque qui dénote et la force d’intelligence et la foi en soi-même. Vatel se serait certainement percé de son épée à Reichshoffen ; l’état-major de Wellington en eût été bien avancé ! Mourir, c’est quelque chose, sans doute ; mais qu’est-ce que mourir de désespoir et dans un accès de frénésie ? Il faut que ce soit sur le champ de bataille ou pour accomplir un acte de son devoir, comme le pauvre marmiton qui fut brûlé à son poste dans l’incendie de la cuisine des Dominicains de Colmar en 1458[1], ou comme le cuisinier de Mme la princesse de Montbéliard, qui se noya dans le Doubs en 1657, en traversant cette rivière à cheval pour aller faire le dîner de sa maîtresse[2].

  1. Annales et chronique des Dominicains de Colmar, p. 233.
  2. Bois-de-Chêne, Chronique, année 1657.