Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/327

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pensaient au delà de la tombe aux festins que nous faisions sans eux. Quelquefois, ils revenaient de l’autre monde pour les troubler et répandre l’épouvante parmi leurs ennemis dont ils n’avaient pu se venger pendant leur vie, comme le fit le chevalier Jean de Westhausen à la curie noble de la Haute-Montée[1]. D’autres fois ils venaient mêler leur pâle et froid sourire dans les chaudes joies d’une compagnie d’amis ou de parents, comme il arriva à ce jeune chevalier, moissonné avant l’âge, et qui sortit de son linceul pour servir au festin de noces de son ami[2].

Enfin, la danse des morts elle-même eût paru incomplète et avoir oublié un élément essentiel de la société, si le personnage du cuisinier n’avait distinctement figuré dans la funèbre sarabande. Le vieux Holbein lui a donné une place dans la fresque saisissante dont il épouvanta, à Bâle, le moyen âge finissant. Ouvrez le Basler-Todtentanz[3] ; après la femme païenne et avant le pauvre paysan courbé par l’âge, vous verrez l’ironique squelette appréhender au corps la forme réjouie, grasselette et bien portante d’un praticien du grand art. La recrue se fait un peu prier, non pas qu’elle rechigne devant le pas aventureux que toute existence sautera un jour ou l’autre, mais parce qu’elle est un peu obèse et chargée de l’attirail de son métier. La mort soulage le pauvre cuisinier en portant sa broche, où fume encore une volaille dodue et appétissante. Il me semble que nulle part la mort n’a revêtu une physionomie plus satirique et plus facétieuse ; le maigre squelette triomphe d’emmener le gros bonhomme :


Allons, viens, Jean, il faut partir ;

Que tu es gras ! c’est à peine si tu peux marcher ;
Les douces friandises que tu as si longtemps préparées,

Vont se tourner en amertume pour toi ; il faut partir.

  1. Kleinlawel, Gereimte Chronick, p. 89.
  2. Paulli, Schimpf und Ernst, p. 214.
  3. Basler Todtentanz, par Mérian. Francf., 1596. In-4°, p. 117.