Quand les bandes anglaises ravagèrent la province au quatorzième siècle, et les Armagnacs au quinzième, les chroniqueurs remarquent « que le vin d’Alsace était si fort du goût de ces aventuriers et qu’ils trouvaient si avantageux de s’en régaler pour rien, qu’ils prolongèrent notablement leur séjour dans le pays[1] ». Les amateurs difficiles le mettaient sur la même ligne que le Rivoglio d’Istrie : « beaucoup de gens dédaignent de boire le mauvais vin ; il leur faut du Reynfal, de l’Alsacien, Elsæsser[2]. » Hans Sachs l’a célébré avec une liberté poétique qui frise un peu l’impiété : « Oh ! que j’ai dans ce moment le délicieux et renommé vin d’Alsace ! Quand bien même le bon Dieu et saint Jean-Baptiste, son précurseur, devraient le boire à eux seuls, je saurais pourtant combien il a été bon et à quel point il a dû réjouir leurs sentiments[3]. » La muse rabelaisienne du poëte Fischart ne pouvait pas le passer sous silence : « Il vient une époque qui s’appelle le Carnaval et dans laquelle règne en maître souverain un astre nommé l’Alsacien. Plus d’un en a souvent la tête alourdie et la bourse allégée[4]. » Cet astre si loué par Fischart n’était toutefois pas en bonne odeur auprès d’Érasme. Celui-ci fut le plus illustre détracteur de nos vins. Il leur attribuait les douleurs néphrétiques dont il était tourmenté. Une vieille chanson allemande qui remonte au seizième siècle contient une strophe à la louange des charretiers qui vont chercher le vin d’Alsace : « Nous n’oublierons point les voituriers grands et petits qui mènent leurs chariots en Alsace et en rapportent les bons vins du Rhin. Ne leur épargnons pas nos louanges reconnaissantes ; que Dieu et Marie, la reine du ciel, daignent les conduire et les protéger tous[5] ! »
Les poëtes n’exagéraient rien. Élisée Rœsslin, un médecin,