Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/350

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de deux ans non-seulement sans en pouvoir boire, mais encore sans en pouvoir sentir sans horreur[1]. »

Tout le monde en Alsace ne buvait certes pas avec la puissance et l’entrain qu’y mettaient MM. de Reifferscheid et François de Créhange. Il y eut même une fois un Alsacien qui n’a jamais bu de vin. Aussi l’histoire a-t-elle remarqué ce miracle. Buheler nous apprend que l’ammeister Wolfgang Schutterlin fut cet homme singulier[2].

Les Français du temps de Louis XIII et de Louis XIV faisaient assez volontiers la débauche de vin avec les gens du pays, surtout avec la noblesse, qui passait pour être ardente à humer le piot, mais ils étaient rarement en état de tenir tête à nos preux. Le comte de la Suze, gouverneur de Belfort et mari de cette galante Henriette de Coligny, qui gravait ses rêveries amoureuses sur les rochers de Bermont, avait assisté « à une ivrognerie célèbre à Brisach ; comme il s’en retournoit, un troupeau de cochons l’ayant renversé sur le pont, lui passa sur le corps, et il crioit : « Quartier, cavalerie, quartier[3] ! » Le buveur désarçonné se croyait aux prises avec les Cravattes de l’empereur.

Nos habitudes bachiques se trahissaient parfois jusque dans les inscriptions funèbres et leur donnaient une couleur païenne. Un margrave de Bade, qui fut custos et cellérier du chapitre de Strasbourg, est enterré dans la cathédrale. Savez-vous ce que promet à ce chrétien, à ce serviteur de l’Église, l’épitaphe taillée sur son tombeau ? Qu’il boira le nectar avec les dieux :


Si domus aut pietas, inopum si cura bearint
Quemquam, cum superis, Carole, nectar habes.


L’on était convaincu, en Alsace, que le vin était un remède souverain en toutes choses. Un proverbe affirmait que chaque

  1. Bassompierre, Mémoires. Coll. Michaud, t. XX, p. 39.
  2. Buheler, Chronick. Mss., ad. ann. 1574.
  3. Tallemant, Historiettes, t. V, p. 215.