Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/85

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Strasbourg, mais qui est presque quotidien chez les marquards[1]. L’on pourrait peut-être le remettre en honneur. La partie alsacienne de Sainte-Marie-aux-Mines était renommée, au dix-huitième siècle, pour ses pâtés froids de truites[2] ; la tradition s’en est conservée dans la famille Antoine d’Échéry. C’est un pâté excellent, que le modeste abbé Grandidier a pu goûter dans ses libres courses d’historien et d’archéologue. Mais ce n’est qu’à la table somptueuse du cardinal de Rohan qu’il a pu faire l’épreuve d’un autre pâté de poissons, qui est le terme suprême de la recherche épulaire. Ce pâté n’était composé que de langues de carpes, de foies de lottes et de queues d’écrevisses. Il était à un prix exorbitant. La pièce coûtait 400 livres. Une brochure, publiée à Paris sous l’Empire, mentionne cette rareté aristocratique du vieux Strasbourg et ajoute que « plus d’une fois on l’a vu servir sur la table d’un simple particulier, car l’on y est extrêmement recherché et gourmand pour certains mets délicats[3] ».

Dans les anciens temps, au quinzième siècle, par exemple, les aubergistes de Strasbourg servaient des repas exclusivement composés de poissons ; la fidélité à l’observance canonique du maigre, appuyée sur l’admirable abondance du poisson, explique aisément cette institution sociale. Ces repas spéciaux portaient le nom caractéristique de Fischmohl, et la taxe officielle, en 1492, en était de 9 kreutzer[4], 2 kreutzer de plus que la taxe du repas ordinaire.

Les hauts faits du monde intime de la cuisine sont moins indignes qu’on ne le croit des regards de l’histoire. La renommée de nos beaux poissons de Strasbourg a été connue de l’empereur Napoléon Ier, et la bouche auguste du vainqueur de l’Europe s’est,

  1. Friese, Histor. Merkwürd. des Elsasses, p. 11.
  2. Grandidier, Vues pittoresques de l’Alsace, art. Sainte-Marie, p. 5.
  3. Les Habitants de Strasbourg. Paris, 1805. In-8°, p. 3.
  4. Friese, Histor. Merkwürd. des Elsasses, p. 173.