salon. Que crois-tu qu’elles lisent ? Tu as peut-être entendu dire que les jeunes filles ne peuvent lire autre chose que des romans ? Détrompe-toi. Antonine n’est pas aussi forte sur les mathématiques que l’était madame du Châtelet, mais elle lit de l’histoire, et même des ouvrages de sciences, de philosophie, de religion, de voyages, etc. Je l’ai surprise un jour absorbée dans le Traité de Fénélon sur l’Éducation des Filles, un autre jour dans celui de Madame Campan sur le même sujet. Il est vrai qu’elle parcourt peut-être avec encore plus de plaisir les poésies et les petites historiettes dont son père lui permet la lecture. Mais elle juge tous ces ouvrages avec une raison, un goût qu’on rencontre assez rarement parmi nous. Sa conversation m’intéresse et me charme de plus en plus. Quelles que soient les qualités littéraires de son futur mari, elle sera parfaitement en état de le comprendre.
« Je ne lui ai encore rien dit de mes sentiments ; elle n’en sait que ce qu’elle a pu lire dans mes yeux. Mais je songe quelquefois qu’elle réunit en grande partie tout ce que j’ai toujours désiré dans une femme. Que dirais-tu si elle allait devenir la plus belle moitié de moi-même ? Mais, en supposant que je ne lui fusse pas antipathique, pourra-t-elle, ou voudra-t-elle attendre deux ou trois ans ? Car dans le cas même où la fortune me serait favorable, ce ne serait pas avant deux ans qu’il me sera donné d’accomplir cet acte solennel de ma vie.
« Je pense avoir deux rivaux cependant dans deux jeunes gens que je rencontre assez régulièrement dans la famille. L’un est étudiant comme moi, et l’autre employé d’une de nos premières maisons de