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JEAN RIVARD

– Heureux mortel, m’écriai-je ! que pourriez-vous désirer de plus ?

– Je vous avouerai, reprit Jean Rivard, que je ne me plains pas de mon sort. J’ai beaucoup travaillé dans ma jeunesse, et je travaille encore, mais je jouis maintenant du fruit de mes travaux. Je me considère comme indépendant sous le rapport de la fortune, et je puis consacrer une partie de mon temps à l’administration de la chose publique, ce que je considère comme une obligation. Vous autres, messieurs les citadins, vous ne parlez, le plus souvent qu’avec dédain de nos humbles fonctionnaires des campagnes, de nos magistrats, de nos commissaires d’écoles, de nos conseillers municipaux…

— Pardonnez ; personne ne comprend mieux que nous tout le bien que peuvent faire les hommes de votre classe ; vous avez d’autant plus de mérite à nos yeux que vous ne recueillez le plus souvent que tracasserie et ingratitude. Mais ce qui m’étonne un peu, c’est qu’étant devenu, comme vous le dites, indépendant sous le rapport de la fortune, vous n’en continuez pas moins à travailler comme par le passé.

— Je travaille pour ma santé, par habitude, je devrais peut-être dire par philosophie et pour mon plaisir. Le travail est devenu une seconde nature pour moi. Jamais je ne rêve avec plus de jouissance qu’en faisant quelque ouvrage manuel peu fatiguant ; lorsqu’après quatre ou cinq heures d’exercice physique en plein air, j’entre dans ma bibliothèque, vous ne saurez croire quel bien-être j’éprouve ! Mes membres sont quelquefois las, mais mon esprit est plus clair, plus dispos que jamais ; je saisis alors les choses les plus abstraites, et soit que je lise ou que