défricheur, je n’étais pas tout-à-fait sans appui. J’appartenais à une famille connue, j’avais reçu une certaine instruction qui ne m’a pas été inutile ; puis, j’étais possesseur d’un patrimoine de cinquante louis. Cela semble une bagatelle, mais cette somme suffisait pour m’obtenir les services d’un aide, ce qui n’était pas peu de chose dans les circonstances où je me trouvais. Rien de tout cela n’existait pour Pierre Gagnon.
« Orphelin dès l’enfance, il avait travaillé toute sa vie pour se procurer le pain de chaque jour. Il ne connaissait que la dure loi du travail. Ceux qui l’employaient ne le faisaient pas pour le protéger, mais parce qu’ils y trouvaient leur compte. C’est bien de lui qu’on peut dire avec raison qu’il a été l’enfant de ses œuvres.
« Jusqu’à l’âge de dix-huit ans, Pierre Gagnon n’avait reçu pour prix de ses sueurs, que le logement, la nourriture et l’entretien. Durant les années subséquentes, grâce à ses habitudes économiques, il put mettre quelques piastres de côté, et lorsque je le pris à mon service, il avait une vingtaine de louis d’épargne.
« Je vous ai dit comment il avait travaillé pour moi, avec quelle patience, quelle gaîté philosophique il avait attendu après la fortune, jusqu’à ce que ses gains journaliers, le prix bien justement acquis de longues années de travail, lui eussent permis de devenir acquéreur d’un lot de terre inculte qu’il exploita pour son propre compte. Ceux-là seuls qui l’ont suivi de près peuvent dire ce qu’il a fallu chez cet homme d’heureuses dispositions et de force de caractère pour supporter sans murmurer les rudes fatigues de la première période de sa vie.