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JEAN RIVARD

Beaucoup y perdent la santé, quelques-uns méme y perdent la vie.

Je n’entreprendrai pas de raconter toutes les misères qu’avait essuyées notre jeune missionnaire dans l’accomplissement de ses saintes mais pénibles fonctions. Il avait eu à desservir jusqu’à cinq missions à la fois. Il lui était arrivé de faire six sermons dans une journée, trois en français et trois en anglais, alors même qu’il en était réduit à ne prendre qu’un seul repas, vers quatre ou cinq heures de l’après-midi. Plus d’une fois il avait fait à pied, au milieu des neiges, cinq, dix, quinze lieues pour porter le bon Dieu aux malades, après quoi il n’avait eu pour se reposer de ses fatigues d’autre couche que le plancher nu de la cabane du défricheur. Plus d’une fois il avait failli périr, surpris par des tempêtes dans ses longs trajets à travers les bois. Pendant une nuit entière il avait été enseveli dans la neige, seul, loin de tout secours humain, n’ayant pour compagnons que les vents et la tempête, pour espoir que le Dieu qu’il servait et dont il portait la parole aux populations éparses dans la forêt.

Et comment vivait-il au milieu de ces peuples dénués de tout ? Comment soutenait-il sa dignité de prêtre ? Au moyen de présents, de souscriptions, de charités. Humble mendiant, il faisait lui-même une tournée dans les cantons qu’il desservait, allant de maison en maison demander du grain, du beurre, des légumes. Le dimanche, il remerciait au prône les fidèles qui l’avaient secouru. C’était là, me disait-il plus tard, la plus dure de toutes mes épreuves. Les fatigues corporelles qu’il endurait n’étaient rien comparées à cette nécessité de solliciter de ses ouailles