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ÉCONOMISTE.

d’effroi devant cette sombre forêt, devant ces souches lugubres et cette nature sauvage ?

Détrompez-vous, lecteur ; la vue des grands arbres sur lesquels les yeux s’arrêtaient de tous côtés, la tranquillité de cette solitude, n’effrayèrent nullement l’imagination de la jeune femme. L’asile modeste qu’elle allait embellir par sa présence, et où elle devait gouverner en reine et maîtresse, était propre, gai, confortable ; elle ne l’eût pas échangé contre la plus riche villa. D’ailleurs, qui ne sait que les lieux où l’on aime ont toujours un aspect charmant ?


On ne vit qu’où l’on aime et la patrie est là.


Il faut bien se rappeler aussi que Louise ne s’était pas mariée afin de mener plus facilement une vie frivole et dissipée, courir les bals et les soirées, et briller dans le monde par une toilette extravagante. Je ne voudrais pas prétendre qu’elle eût perdu en se mariant ce besoin de plaire et d’être aimé qui semble inné chez la femme ; mais elle avait fait un mariage d’inclination, elle se sentait aimée de celui qu’elle aimait, et cela lui suffisait pour être heureuse.

Jean Rivard l’aimait en effet de toute l’ardeur de son âme, cette jeune femme si belle, si douce, si pieuse, qui lui avait confié le bonheur de toute sa vie ; il l’aimait de cet amour fondé sur l’estime autant que sur les qualités extérieures, qui loin de s’éteindre par la possession ne fait que s’accroître avec le temps.

On ne sera donc pas étonné quand je dirai que Louise, qui, antérieurement à son mariage n’était jamais sortie de sa paroisse, n’éprouva pas le moins du monde cette nostalgie dont souffrent si souvent les personnes qui s’éloignent pour la première fois de