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LE DÉFRICHEUR

trouve pas de substance végétale à sa satisfaction qu’il se nourrit de chair animale.

Il est toutefois une circonstance où la rencontre de l’ours femelle peut être dangereuse ; c’est lorsqu’elle est accompagnée de ses jeunes nourrissons. Aucun animal ne montre pour ses petits une affection plus vive, plus dévouée. Si elle les croit menacés de quelque danger, elle n’hésite pas un instant à risquer sa vie pour les défendre.

Toute la crainte de Jean Rivard était qu’il n’eût en effet rencontré dans cet animal aux allures pesantes une respectable mère de famille. Dans ce cas, sa situation n’était pas des plus rassurantes. Son anxiété se changea bientôt en alarme lorsqu’il vit remuer dans les broussailles, à une petite distance de l’ours, deux petites formes noires qui s’avancèrent pesamment, en marchant sur la plante des pieds, et qu’il reconnut de suite pour deux jeunes oursons. En voyant ses petits s’approcher, la mère, levant de nouveau la tête, regarda Jean Rivard. Ses yeux flamboyaient. Jean Rivard sentit un frisson lui passer par tout le corps. Ne sachant trop que faire, il résolut d’appeler son compagnon ; il se mit à crier, autant que le lui permettait son émotion : Pierre ! Pierre !… Mais il entendait dans le lointain la voix de son homme chantant à tue-tête, en abattant les branches des arbres :

Quand le diable en devrait mourir
Encore il faut se réjouir. (bis.)

Pierre, tout entier à son travail et à sa chanson, n’entendait rien.