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JEAN RIVARD

anciens professeurs, aux conseils desquels j’attache beaucoup d’importance. Ces lettres, quand elles me viennent par la poste, me sont remises par un homme chargé de percevoir en même temps le prix du port et quelques sous pour ses honoraires. Or, il m’arriva dernièrement de recevoir ainsi une lettre assez pesante, dont le port s’élevait à trente-deux sous. C’était beaucoup pour moi ; je réunis tous mes fonds sans pouvoir former plus de vingt sous. Il me manquait encore douze sous : comment faire ? Je ne pouvais pourtant pas refuser cette lettre ; elle pouvait être fort importante.

« En cherchant parmi mes effets pour voir si je ne trouverais pas quelque chose dont je pusse disposer, je ne trouvai qu’un tout petit volume, un petit Pensez-y-bien, qui m’avait été donné par notre ancien directeur de collége. C’était le seul livre qui me restât. J’aurais pourtant bien voulu le garder ; c’était un souvenir d’ami ; je l’aimais ce petit livre, il m’avait suivi partout. Mais je me dis : je vais le mettre en gage et je le rachèterai aussitôt que j’aurai de l’argent.

« Je retirai donc ma lettre de la poste ; elle ne valait pas le sacrifice que j’avais fait. C’était une longue correspondance qu’un notaire de campagne envoyait à une gazette, et qu’il me priait de vouloir bien retoucher.

« Aussitôt que j’eus la somme nécessaire, je courus pour racheter mon petit Pensez-y-bien : mais il était trop tard… il était vendu… on ne savait à qui…

« Je me détournai, et malgré moi une larme me tomba des yeux.