Page:Gérin-Lajoie - Jean Rivard, le défricheur, 1874.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
JEAN RIVARD

racontais toutes mes misères, tous mes ennuis, tous mes déboires depuis le jour où j’ai quitté le collége, tu me plaindrais sincèrement, tu en verserais des larmes peut-être, car je connais ton bon cœur. Ah ! mon cher ami, ces heures délicieuses que nous avons passées ensemble, à gambader à travers les bosquets, à nous promener dans les allées du grand jardin, à converser sur le gazon ou sous les branches des arbres, nos excursions les jours de congé dans les vertes campagnes, sur les rivages du lac ou sur les bords pittoresques de la rivière, tous ces plaisirs si doux me reviennent souvent à la mémoire comme pour contraster avec ma situation présente. Te le dirai-je, mon bon ami ? ce bel avenir que je rêvais, cette glorieuse carrière que je devais parcourir, cette fortune, ces honneurs, ces dignités que je devais conquérir, tout cela est maintenant relégué dans le domaine des illusions. Sais-tu à quoi ont tendu tous mes efforts, toutes les ressources de mon esprit, depuis deux ans ? À trouver les moyens de ne pas mourir de faim. C’est bien prosaïque, n’est-ce pas ? C’est pourtant là, mon cher ami, le sort de la plupart des jeunes gens qui, après leurs cours d’études, sont lancés dans les grandes villes, sans argent, sans amis, sans protecteurs, et sans expérience de la vie du monde. Ah ! il faut bien bon gré mal gré dire adieu à la poésie, aux jouissances intellectuelles, aux plaisirs de l’imagination, et, ce qui est plus pénible encore, aux plaisirs du cœur. Ce que tu me racontes de tes amours, des charmes ingénus de ta Louise, de votre attachement avoué l’un pour l’autre, de ton espoir d’en faire avant peu ta compagne pour la vie, tout cela est bien propre à me faire envier ton sort. Oui,